Ceux qui sont victimes de harcèlement moral au travail ou de maltraitance au sein des communautés religieuses, finissent souvent par connaitre
la même solitude. Une solitude encore plus dure quand harcèlement moral et maltraitance religieuse vont de pair.
Dans leur ouvrage « Toxic Faith », Stephen ARTERBURN et Jack FELTON disent pourquoi et comment les communautés religieuses qui sont
affectées par un système de foi toxique finissent pas exclure ceux qui ne sont pas disposés à jouer le jeu pervers qui s’organise autour de dirigeants persécuteurs. Ils disent : « Les
gens qui se lèvent pour la justice et défient le système perdent leur travail, leurs amis et leur église. »
Un site internet, Psyche-Teste, explique que parmi les victimes de harcèlement moral, il y a le bouc émissaire ou whistleblower : «celui qui
prend sur lui d’alerter l’opinion publique sur les malversations, de dénoncer les actes de corruptions ou les violations de la loi des grands services publics où il travaille. C’est en ce sens
qu’il devient victime de représailles ».
La psychiatre Marie-France Hirigoyen, célèbre pour le travail qu’elle a fait sur le harcèlement moral en milieu professionnel, a démonté les
mécanismes qui font que la victime finit le plus souvent par se retrouver complètement marginalisée et isolée.
Un site internet dédié à la santé comme AtouSanté dit ce que savent tous les spécialistes : « La conséquence du harcèlement moral est avant tout une pathologie de la solitude, de l’isolement,
qui renforce la souffrance. »
Plusieurs facteurs contribuent à l’isolement de ces personnes qui sont prises à partie
par le système, du fait qu’elles refusent l’injustice ou la maltraitance dirigées contre elles ou contre quelqu’un d’autre.
Le premier facteur, c’est la stratégie de
disqualification mise en place par l’institution afin de se défendre des remises en cause dont elle fait l’objet et neutraliser le rebelle. Dans les communautés religieuses comme dans les milieux
professionnels, la personne qui ose dire non pour elle-même ou en faveur d’autres personnes, est dénigrée, noircie, et disqualifiée aux yeux de son entourage. Elle est ainsi neutralisée et isolée
de telle sorte que l’institution garde son emprise sur les autres individus qui en font partie. On cherche des poux dans la tête du rebelle, on lui monte un dossier, quitte à inventer des fautes
qui n’existent pas. On l’asperge de souffre. L’important, c’est de décrédibiliser cette personne pour qu’elle ne sape pas le pouvoir des dirigeants ou ne nuise pas aux intérêts de
l’institution.
Cette campagne de dénigrement porte généralement ses fruits. L’image qui est construite du rebelle fait que les autres personnes prennent leur distance par rapport à lui. On se dit qu’il n’y a pas de fumée sans feu, que la
personne incriminée a du faire quelque chose qui lui vaut d’être maltraitée. On n’apprécie pas la mauvaise réputation qui est donnée à l’institution par l’action dénonciatrice du rebelle. Il fait
alors l’objet de la désapprobation des uns, et de l’indifférence des autres.
Par ailleurs, le traitement qui est infligé au rebelle inspire de la peur aux autres qui ne tiennent pas à subir le même sort. Ils se démarquent donc de la victime pour ne pas avoir d’ennuis. Ils refusent de se solidariser
de sa cause, de témoigner en sa faveur. Ils évitent d’être vus en sa compagnie. Ils lui conseillent éventuellement de « fermer sa gueule », de « faire preuve de sagesse », de
« remettre son sort entre les mains de Dieu », de « faire une démarche auprès des dirigeants », bref, tout ce qui peut épargner un affrontement et faire courir des risques aux
autres.
Lorsque la victime a perdu son statut, ou son travail, et donc sa dignité aux yeux de
son entourage, ce sont les membres de la communauté, les amis, les ex-collègues qui prennent leur distance. Diminué sur le plan social, et alourdi de son histoire difficile, le rebelle n’est plus
une personne intéressante à fréquenter. Les autres n’aiment pas se prendre la tête avec son problème, entendre son histoire. Elle devient l’objet de méfiance ou de mépris.
Se battant contre des structures qui sont économiquement et socialement plus puissantes
qu’eux, les rebelles sont souvent contraints à des stratégies de lutte qui mettent leur entourage mal à l’aise, et entrainent la désaffection de cet entourage.
Sous l’effet de la situation pénible qu’elle vit, labourée par sa souffrance, obsédée
par l’injustice qu’elle subit, la victime se transforme. Quelqu’un qui a pu être dynamique, enthousiaste, charismatique, peut devenir aigri, amer, irritable, timoré, atone ou renfermé. Cette
atrophie de sa personnalité est mal vécue par les autres qui préfèrent s’éloigner avec une certaine répulsion.
Letitia Bartolucci Caro, étudiante de Master en Psychologie Clinique à l’Université
Paris VIII, plaidant pour le soutien des groupes de paroles aux victimes du harcèlement, déclare dans une page du journal Le Monde: « Les harcelés ont besoin de raconter leur histoire de façon très répétitive, de redonner tous les détails, de revenir plusieurs fois sur un moment qui les
a marqués. Les familles ou les amis sont facilement ennuyés par ce type de discours. En plus, l’entourage comprend rarement ce qui se passe. . . Ils se retrouvent accusés par l’entourage :
“mais qu’est ce que tu as fait de mal?”..
Dans le cadre familial, la victime peut bénéficier d’un soutien pendant les premiers
temps, mais l’entourage familial n’est généralement pas équipé pour gérer les effets de la situation à moyen et long terme. Les conséquences psychologiques, financières, symboliques, se font de
plus en plus lourdes. La victime peut même devenir un sujet de honte non avouée par l’entourage familial. Elle peut aussi attirer la
colère de ses proches qui lui font inconsciemment grief d’avoir tenu tête au lieu de se coucher comme tout le monde. Les modifications de sa
situation et de sa personnalité sont mal vécues par la famille qui a du mal à comprendre. Et là aussi, c’est l’isolement qui attend le rebelle.
Selon M.F. Hirigoyen, « le harcèlement moral laisse des traces indélébiles qui peuvent
aller du stress post-traumatique à une modification durable de la personnalité après son expérience ». Il en est exactement de même de la stratégie d’exclusion en milieu religieux.
L’avocate Alina Paragyion dit sur son site HARCELEMENT MORAL AU TRAVAIL que
« De nombreuses personnes parlent d’une ‘torture psychologique’ du harcelé qui persiste et l’amène à vivre dans la crainte et adopter une attitude cynique vis-à-vis de son entourage
privé. » Evidemment, ceci ne fait que renforcer l’isolement.
Si le rebelle ne jouit pas d’une structure psychique suffisamment solide pour supporter
cette douloureuse solitude, brisé et dévasté, il peut être acculé à la maladie, la folie, voire à des gestes désespérés et irréparables : meurtre de masse ou suicide ou les deux à la
fois.