Depuis un certain temps, il est souvent question de « fondamentalismes » dans les médias. Le terme est
employé pour désigner certains groupes musulmans activistes comme Les Frères Musulmans, le Jamaat-i-Islami, ou le Gamaa Islamiyya, pour ne citer que ceux-là. Le terme est parfois employé comme
synonyme d’intégrisme ou de fanatisme.
Certaines clarifications s’imposent si on veut comprendre ce qu’est le fondamentalisme et par conséquent
identifier à bon escient les fondamentalistes.
Cette démarche est d’autant plus nécessaire qu’on trouve un peu n’importe quoi sur le sujet. C’est ainsi
que dans WIKIPEDIA on trouvera que « Le terme fondamentalisme désigne l'attachement strict à une doctrine précise, religieuse ou autre », et il est donné comme synonyme d’intégrisme.
Une telle définition ne signifie strictement rien car on peut l’appliquer à n’importe quel partisan
engagé de n’importe quelle cause ou doctrine.
En réalité, le fondamentalisme, dans son acception religieuse, se caractérise essentiellement par une
approche littéraliste des écrits sacrés, une lecture au premier degré, le texte écrit étant considéré dans sa littéralité comme le fondement exclusif et suffisant de la croyance comme de la
pratique de l'individu.
Frédéric Manns, bibliste franciscain français, a parfaitement raison de déclarer : « Mettre sur le même
dénominateur commun les divers fondamentalismes religieux sans les distinguer serait absurde. Il y a trop de différences entre les miliciens islamistes qui défendent le mausolée d'Ali, à Nadjaf,
les fondamentalistes juifs qui défendent les colonies des territoires occupés la Bible à la main et les fondamentalistes baptistes américains qui croient à la création du monde en sept jours,
défendent la peine de mort et soutiennent Israël au nom d'un sionisme chrétien favorable à la réunion de tous les juifs sur leur terre pour attendre le retour du Messie en gloire. Ce qui est
commun cependant c'est une approche "naïve" et non critique des textes fondateurs de la religion. »
Ainsi, il met en garde contre un usage « fourre-tout» du terme fondamentalisme en même temps qu’il
éclaire sur sa signification essentielle.
Il faut donc distinguer le fondamentalisme de l’intégrisme qui est un attachement radical à la tradition
(ce fut le cas de Monseigneur Lefebvre), et du fanatisme qui est la défense extrémiste et souvent violente d’une cause quelconque. Tous les fondamentalistes ne sont pas forcément des intégristes
ou des fanatiques. Pas plus qu’ils ne sont nécessairement des activistes. Il ne faut pas tout mélanger. Cependant, il faut reconnaitre que le fondamentalisme est très souvent le substrat des
intégrismes, des fanatismes, et des activismes religieux de toutes sortes. C’est peut-être la raison pour laquelle on a tendance à confondre tous ces termes, mais il ne génère pas toujours toutes
ces dérives. Par ailleurs, il n’y a pas de définition univoque du fondamentalisme. Il y a sans doute autant de fondamentalismes qu’il y a de fondamentalistes car ce positionnement se teinte
toujours des particularismes des individus et des groupes concernés. Il y aura des fondamentalistes chez les chrétiens, les musulmans, les juifs, et tous n’auront pas le même degré de radicalité
dans leurs croyances et leurs pratiques. Cependant, à partir de la caractéristique principale qui est la lecture au premier degré des textes sacrés, le fondamentalisme se reconnaitra à certains
traits qui sont relativement communs.
Chez les chrétiens en particulier, le fondamentalisme se reconnaitra généralement aux traits suivants
:
• Une lecture au premier degré du texte faisant fi des outils savants de l’interprétation des textes et
donnant au contenu littéral la priorité sur les apports de la science. C’est ainsi que la plupart des fondamentalistes chrétiens croient que le récit de la création fait par la Genèse est à
prendre au pied de la lettre et décrit exactement l’apparition de la vie sur la Terre.
C’est en fait un obscurantisme religieux qui se prévaut de l’appropriation personnelle du Saint Esprit
comme seul outil d’interprétation des textes bibliques, au mépris de tous les apports de la culture et des sciences.
• Le totalitarisme de la dimension religieuse dans la vie de tous les jours. La plupart des
fondamentalistes soumettent tous les aspects de la vie, non pas à la spiritualité (ce qui est différent) mais à la religion. C'est-à-dire que, non seulement tous les compartiments de la vie
seront normés par des exigences religieuses, mais le religieux aura tendance à prendre le pas sur tous les autres aspects de la vie quotidienne (le culturel, le politique, le social, les loisirs,
etc.)
• Un enracinement dans le passé du au fait que les textes, les références et les valeurs qui servent
d’ancrage à leur vision du monde appartiennent à une époque révolue. Tarik Ramadan décrit fort bien l’opposition entre fondamentalisme et modernité dans un article de 2008 intitulé « L’islam et
le fondamentalisme religieux » paru sur le site European Muslim Network. Il déclare : « . . trois éléments permettent de définir le concept de fondamentalisme :
1. •la Référence ancienne dit tout de notre temps moderne (tout est dans le texte
ancien)
2. •la pensée rationnelle est enfermée dans le sens du Livre qu’on lit (sens littéral, fixe,
absolu et donné à un moment). Refus de l’évolution de la pensée, de la science
3. •l’opposition à tout élément de l’histoire qui n’est pas dans le Livre, ou ne correspondant pas
au sens donné par le Livre C’est cet enracinement dans le passé qui explique que les chrétiens fondamentalistes ont tendance à faire bon ménage avec des mouvements nationalistes comme le Front
National aujourd’hui ou le Nazisme hier, en voyant dans le monde actuel une décadence dont le seul remède c’est le recours nostalgique à des valeurs dites d’origine.
De ce point de vue, l’église adventiste qui est le cas que je connais le mieux, tend à être
fondamentaliste car l’influence des penseurs qui utilisent les outils modernes pour lire les textes sacrés n’est pas assez forte en son sein. C’est pourquoi, on retrouvera dans ses rangs à des
degrés divers un certain nombre de croyances et de pratiques qui ne s’expliquent que par la lecture naïve des textes, notamment :
• La croyance que tous les écrits de la Bible viennent directement de Dieu, et ont une valeur absolue
autant qu’égale
• La Bible comme source suffisante de connaissance en toutes choses
• Le statut inférieur de la femme et sa soumission à l’homme (masqué par le concept bidon de «
soumission réciproque » entre mari et femme). Les femmes devaient se couvrir la tête en assemblée il n'y a pas si longtemps, et elles n’ont toujours pas un libre accès à l’ordination
* L'interdiction faite aux femmes de porter le pantalon (considéré comme vêtement d'homme)
• Le statut des pasteurs comme « oints de l’Eternel » et donc différent de celui des simples
fidèles
• La soumission des fidèles à leurs dirigeants
• Le loyalisme à l’égard des pouvoirs en place et l’absence de toute contestation
* La sacralisation des lieux de culte et de la chaire
• L’acceptation littérale du mythe génésiaque de la création comme seule explication de l’origine du
monde
• La croyance que la terre a 6000 ans d’existence
• L’interprétation apocalyptique des catastrophes et phénomènes naturels (Guerres, tremblements de
terre, pluie de météorites, famines) comme signes de la fin du monde
• Les interdits alimentaires basés sur la distinction entre pur et impur
• L’abstention de toute cuisson le jour du sabbat, même s’il ne s’agit que de programmer un four
informatiquement (Il fut une époque pas si lointaine où il ne fallait même pas prendre de « grand bain » le sabbat)
• La pratique stricte de la dîme qui exige des fidèles le don systématique de 10% de tous leurs revenus
(salaires, profits, allocations sociales, etc.) à l’église quelque soit leur situation financière (sans compter les nombreuses offrandes sollicitées constamment). Certains prédicateurs allaient
jusqu'à affirmer que même en cas de maladie, le fidèle à qui il ne restait que la dime chez lui, ne devait pas y toucher mais s'en remettre à Dieu.
• La diabolisation de la sexualité
• La diabolisation du monde, de la culture ambiante, et de certains aspects de la modernité. Pendant des
années on a entendu des prédicateurs pester en chaire contre le défrisage des femmes ou le port du blue jean.
* La confession publique des fautes personnelles, parfois poussée jusqu'au récit public des turpitudes
intimes
• Une vision manichéenne qui sépare la réalité entre l’église pure et le monde impur
• L’église adventiste comme étant la seule véritable église, LE « peuple du reste »
• Une extrême ambigüité par rapport au recours aux tribunaux : la direction peut avoir ses avocats (même
les moins scrupuleux) et se défendre en justice contre les gens de l’extérieur et les membres de la communauté par tous les moyens parce qu’elle incarne « l’œuvre de Dieu », mais les employés et
les membres sont découragés d’ester en justice entre eux ou contre la direction parce que les tribunaux appartiennent à l’extérieur méchant.
Le problème de fond, c’est celui du regard que portent les fondamentalistes
sur la Bible. Ils croient que les textes bibliques ont tous été inspirés par Dieu ai sens où leur contenu serait le résultat d'un phénomène surnaturel par lequel Dieu aurait révélé à certaines
personnes des choses. D'où leur démarche qui consiste à prendre pratiquement au pied de la lettre tout ce que dit la Bible, et à donner à son contenu littéral une valeur éternelle et
universelle.
Essayons d'en parler de manière très simple, un peu dans le style "la Bible
expliquée aux nuls par un nul", au risque de passer pour un peu naïf aux yeux des penseurs les plus avertis.
Ce que nous dirons par rapport aux fondamentalistes chrétiens pourra peut-être
servir de paradigme aux fondamentalistes musulmans ou juifs.
Que sont vraiment les textes bibliques? Des révélations qui viennent
expressément et directement de Dieu, ou bien simplement des œuvres humaines ? Leur contenu littéral, constitue-t-il des vérités absolues et intangibles ? Doivent-il être considérés comme source
fiable en toutes choses, en matière de foi, d’histoire, de géographie, de morale, de science ? Quelle est leur portée réelle ?
Il importe de déterminer la manière dont on perçoit et comprend ces textes, de
porter sur eux un regard juste, fidèle à leur nature exacte, de ne pas se méprendre sur ce qu’ils sont en réalité. Si on doit construire sa manière de penser et d’agir sur leur contenu, il
importe d’être au clair sur la perception qu’on en a, et le rapport qu’on entretient avec ces textes. Il y a des gens qui considèrent par exemple qu’une Bible ne doit jamais être placée
en-dessous d’autres livres, que son caractère est si sacré qu’il faut la mettre toujours au-dessus de toute autre chose. D’autres personnes s’en servent comme d’un talisman dont la seule présence
dans un lieu suffit à conjurer tous les dangers.
Comment sait-on que ces textes émanent de Dieu ? A-t-il écrit lui-même ? A
cela certains répondront qu’il a au moins écrit lui-même les dix commandements ?
A-t-il parlé à des gens ? Qu’a-t-il dit ? Certains répondront que tout le
contenu de la Bible vient de lui.
A-t-il fait écrire ? S’il a fait écrire, comment a-t-il communiqué avec les
auteurs? Certains répondront que c’est par le Saint Esprit.
Mais tout cela n’est pas aussi évident que certains voudraient le croire. Il
est peut-être nécessaire de problématiser la question de la nature des textes bibliques, ne serait-ce que pour mieux clarifier la conception qu'on en a et s'assurer que les croyances qu'on a
reposent sur du solide.
En tout cas, une première chose est sure, c’est que tous les livres de la
Bible ont été écrits par des personnes comme vous et moi. Quand nous disons donc qu’il s’agit de la Parole de Dieu, quelle est en fait la part de Dieu et quelle est la part de l’homme ? L’homme
a-t-il été un simple instrument passif entre les mains de Dieu ? Il y a des images d’Epinal qui tiennent lieu d’explication à propos de ce problème : Pour certains, les livres de la Bible sont
inspirés dans la mesure où Dieu se serait adressé face à face ou bien en vision ou bien en songe à leurs auteurs. Dieu aurait donc dit et révélé des choses, et l’auteur aurait fonctionné un peu
comme un secrétaire, un scribe qui retransmet fidèlement ce qui lui a été révélé. Pour d’autres, le Saint Esprit aurait pris le contrôle des facultés mentales de certaines personnes pour y
infuser en quelque sorte un certain contenu de révélation. A la manière d’un poste récepteur recevant les ondes d’un poste émetteur. Les auteurs auraient dans ce cas procédé un peu par écriture
automatique, étant sous l’emprise du Saint Esprit. Que faut-il faire de tout cela ?
Quand on traite de la question de l’inspiration et de la révélation, un
certain nombre d’arguments sont avancés par certain penseurs chrétiens.
D’abord, l’argument dit « a priori ». Selon cet argument, Dieu étant qui il
est, et l’homme étant qui il est, on doit s’attendre à ce qu’un Dieu qui est réel et aimant communique avec sa créature intelligente et sensible. Du fait que l’homme pécheur ne peut entrer en
relation directe avec Dieu, celui-ci se révèle à l’homme par les moyens qu’il veut, notamment par le moyen de messagers choisis. Mais on reste là dans le domaine de l’hypothèse, de la
construction intellectuelle, et cet argument ne saurait à lui tout seul faire reconnaître la Bible comme œuvre émanant de Dieu et ne saurait répondre à toutes les questions soulevées
précédemment.
Un deuxième argument souvent évoqué, c’est celui de l’évidence interne. Dans
ce cas, on dit qu’en lisant les textes bibliques, on se rend compte qu’il y a là un phénomène spécial et différent des œuvres littéraires ordinaires. Que les pages de la Bible portent les marques
de leur inspiration, tant on est impressionné par leur puissance et leur profondeur. C'est vrai qu'on peut être très impressionné par les textes bibliques. Mais le lecteur du Coran pourrait dire
la même chose. Il y a dans cette démarche quelque chose de subjectif qui n’a valeur que pour celui-ci qui le ressent de cette manière. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde, et cela ne
saurait démontrer l’origine divine des textes bibliques.
Certains emploieront l’argument prophétique et diront que le fait que des
choses soient annoncées à l’avance et se réalisent beaucoup plus tard montre bien l’origine divine des écrits bibliques. Mais il faut émettre un première réserve, c'est que cela ne concerne
qu’une minorité de livres de la Bible. 17 sur 66 exactement. Et même parmi les 17 livres dits prophétiques, tous ne contiennent pas des prédictions. Certains de ces livres ne contiennent que des
exhortations. On ne saurait démontrer l’origine divine de tous les livres de la Bible par l’extrapolation de l’argument prophétique. Cela ne serait pas intellectuellement honnête.
Et puis il y a enfin certaines déclarations bibliques qui sont utilisées pour
démontrer l’origine divine de tous les livres de la Bible. Le plus courant de ces textes, c’est celui de 3 Pierre 1 :19-21 : « Et nous tenons pour d’autant plus certaine la parole prophétique à
laquelle vous faites bien de prêter attention comme à une lampe qui brille dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour vienne à paraitre et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs ; sachez
tout d’abord vous-mêmes qu’aucune prophétie de l’Ecriture ne peut être l’objet d’une interprétation particulière, car ce n’est pas par une volonté d’homme qu’une prophétie a jamais été apportée,
mais c’est poussés par le Saint Esprit que des hommes on parlé de la part de Dieu. » Ceux qui se réfèrent à ce texte mettent généralement l’emphase sur sa toute dernière partie : « c’est poussés
par le Saint Esprit que des hommes ont parlé de la part de Dieu. » Soit. Mais on remarquera qu’il n’est question ici que des prophéties et pas de tous les livre de la Bible. Or, comme nous venons
de le faire remarquer, tous les livres de la Bible ne sont pas prophétiques. D’autres prendront alors le texte de 2 Tim 3 :16 qui dit que « Toute l’Ecriture est inspirée de Dieu ». Mais le texte
ne dit pas en quoi consiste cette inspiration. Par ailleurs, à l’époque où Paul écrit à Timothée, les « saintes lettres » -expression qu’il emploie au verset précédent et qui est synonyme de
l’Ecriture- désigne les livres de l’Ancien Testament. Reste à savoir comment ces livres de l’Ancien Testament en sont venus à être considérés comme inspirés de Dieu et revêtant un caractère
sacré.
Qu’en est-il exactement ? Que disent les auteurs bibliques eux-mêmes ?
Il me semble que la moindre des choses, c’est déjà dans un premier temps de voir ce que les auteur bibliques disent de leur propre
"inspiration". Et d’emblée, on est frappé de constater que ce ne sont pas tous les auteurs bibliques qui se réclament d’une révélation expresse de Dieu. Tous ne disent pas que Dieu leur
a parlé ou leur a adressé un message de quelque manière que ce soit. Tous ne disent pas non plus que Dieu leur a demandé d’écrire quoique ce soit.
Les auteurs qui se réclament d’une telle révélation sont surtout les
prophètes. C’est le cas par exemple d’Esaïe (6 :1 ; 7 :3): « L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône très élevé et les pans de sa robe remplissaient le temple. . .
Alors l’Eternel dit à Esaïe : Va à la rencontre d’Achaz. . . » L’auteur se réclame d’une communication directe et expresse avec Dieu. Et on retrouvera le même genre de formule dans pratiquement
tous les livres prophétiques : Jérémie : « La parole de l’Eternel me fut adressée en ces mots. . . » Ezéchiel : « La parole de l’Eternel me fut adressée en ces mots. . » Daniel : Ce sont des
êtres célestes, des anges qui s’adressent à lui dans des visions et des songes. Osée : « La parole de l’Eternel fut adressée à Osée » Joël : « « La parole de l’Eternel fut adressée à Joël » Amos
parle de visions qui lui sont envoyées par Dieu Jonas : « La parole de l’Eternel fut adressée à Jonas » Michée : « La parole de l’Eternel fut adressée à Michée » Et ainsi de suite. Dans ces cas
là, il est clair que les auteurs se disent récipiendaires d’une révélation qui leur est communiquée par Dieu, et d’un mandatement divin pour la retransmission de cette révélation. Mais qu’en
est-il des autres livres ?
Considérons le livre de la Genèse. Nulle part l’auteur ne dit que Dieu lui a
dit quoique ce soit, ou lui a demandé d’écrire quoique ce soit. Mais son livre parle de l’intervention de Dieu dans l’histoire humaine et dans l’histoire du peuple d’Israël. Son livre parle aussi
de la parole de Dieu adressée à Adam, Caïn, Abraham, Isaac, Jacob, et d’autres personnages, certes. Mais à aucun moment il ne dit que Dieu lui a parlé à lui. Il ne dit pas non plus d’ailleurs
d’où lui viennent ses informations. Il n’y a aucune revendication d’une origine divine de ses écrits.
Dans le livre de l’Exode, c’est la même chose. Nous ne trouvons aucune
déclaration portant sur l’origine divine de ce livre. Lui aussi parle de Dieu, un Dieu qui parle à des hommes et qui intervient dans l’expérience d’Israël, mais quant à lui, aucune revendication
de révélation particulière.
Pareil pour Lévitique, Nombre, et Deutéronome. Il y est question des paroles
adressées par Dieu à Moïse, mais nulle part il n’y est dit : Dieu m’a dit à moi, ou Dieu m’a demandé de dire. La même chose se répétera dans nombre de livres de l’Ancien Testament.
Dans le livre de Ruth, on ne trouve ni l’un ni l’autre de ces deux éléments.
Le livre ne dit nulle part que Dieu a parlé à qui que ce soi, ni que Dieu a parlé à son auteur. Nous y trouvons simplement l’histoire de certains croyants. C’est la même chose dans le livre
d’Esther.
Dans le livre d’Esdras, il est dit qu’Esdras était un scribe versé dans la loi
qui étudiait et enseignait les lois de Dieu, et que la main de Dieu était sur lui, sans plus. On retrouve le même schéma dans le livre de Néhémie. Mais aucun des deux ne déclare que Dieu lui a
dit quoi que ce soit, ou lui a dit de dire quoi que ce soit.
L’auteur du livre de Job, quoique narrant une histoire qui suppose une
connaissance des choses qui dépasse le simple cadre humain, ne se réclame non plus d’aucune révélation spéciale ni d’aucun mandat d’écrire délivré par Dieu. Il raconte simplement une histoire qui
met Dieu en scène.
Quand nous en arrivons aux Psaumes, nous trouvons un recueil de poèmes et de
chants composés par divers personnages : David, Asaph, les fils de Koré, Ethan, Moïse, et certains auteurs anonymes. Ces pièces littéraires puisent leurs racines dans l’expérience et les
sentiments des croyants qui les ont écrites, et tout ce qu’ils disent est certes en référence à Dieu. Mais aucun ne dit que Dieu lui a communiqué quoique ce soit de particulier ou l’ait
commissionné pour écrire.
Le Cantique des Cantiques, qui est aussi une œuvre à caractère poétique venant
de Salomon, ne fait rien d’autre que célébrer l’amour entre un homme et une femme, et le nom de Dieu n’y est prononcé qu’une fois dans une image poétique pour parler de la jalousie : « la
jalousie est inflexible comme le séjour des morts ; ses ardeurs sont des ardeurs de feu, une flamme de l’Eternel. » Autrement, il n’y est question de Dieu en aucune manière.
Vient ensuite le livre des Proverbes, des maximes de sagesse rédigées par le
roi Salomon, et par deux autres auteurs du nom de Agur et Lemuel. Il est intéressant de noter en passant qu’il est dit dans Proverbes 30 :1 que Agur a composé ses maximes pour deux personnes :
Ithiel et Ucal. Et dans Proverbes 31 :1, il est précisé que les maximes rapportées par le roi Lemuel ont été reçues de sa mère qui les avait utilisées pour faire son éducation. Et là nous sommes
dans un contexte tout à fait terre à terre, bien loin d’une intervention divine pour des révélations spéciales.
Avec le livre de l’Ecclésiaste attribué à Salomon, nous avançons encore plus
dans le domaine de la composition littéraire tout à fait humaine. L’auteur déclare dans Ecc. 1 :12 « Moi l’Ecclésiaste, j’ai été roi d’Israël à Jérusalem. J’ai appliqué mon cœur à rechercher et à
sonder par la sagesse tout ce qui se fait sous les cieux : c’est là une occupation pénible à laquelle Dieu soumet les fils de l’homme. » Plus loin, dans 12 :11-12, ils ajouté que « Outre que
l’Ecclésiaste fut un sage, il a encore enseigné la science au peuple, et il a examiné, sondé, mis en ordre un grand nombre de sentences. L’Ecclésiaste s’est efforcé de trouver des paroles
agréables, et ce qui a été écrit avec droiture, ce sont des paroles de vérité. » Ce dont il est question ici, c’est d’un travail pénible d’observation et de réflexion, mais pas de révélation
miraculeuse. C’est d’un travail intellectuel de philosophe qu’il s’agit, de recherche, d’analyse studieuse, laborieuse et patiente.
A ce stade, on est tenté de se demander si tous ces livres rassemblés sous le
vocable de "Parole de Dieu" ne sont pas après tout le fruit d’un travail intellectuel tout à fait humain. Une telle question pourrait passer pour sacrilège, surtout aux oreilles de ceux qui
comprennent l’inspiration des Ecritures comme un phénomène divin de type miraculeux, mais il y a au moins un livre de la Bible qui nous indique que cette question n’est pas si sacrilège que cela.
C’est le livre de Luc où l’auteur déclare ceci dans son introduction : « Plusieurs ayant entrepris de composer un récit des évènements qui se sont accomplis parmi nous, suivant ce que nous ont
transmis ceux qui ont été des témoins oculaires dès le commencement et sont devenus des ministres de la Parole, il m’a aussi semblé bon, après avoir fait des recherches exactes sur toutes ces
choses depuis leur origine, de te les exposer par écrit d’une manière suivie, excellent Théophile, afin que tu reconnaisses la certitude des enseignements que tu as reçus. »
Ce que Luc dit ici de manière explicite, c’est que la rédaction de son
évangile est le fruit d’une initiative personnelle, et d’un travail de recherche. Aucune trace d’intervention divine miraculeuse ni de mandat divin. C’est de son propre chef qu’il produit cet
ouvrage, et le contenu résulte d’un travail de recherche sur la vie de Jésus. Tout cela est bien humain. On peut même dire totalement humain. En tout cas, c’est ainsi que Luc l’a vécu. Quant aux
autres évangiles, il est fort probable qu’ils soient de même nature que celui de Luc puisque ce dernier situe son ouvrage dans la même veine de rédaction que les autres évangiles. D’ailleurs la
très grande similitude entre les trois évangiles dits « synoptiques » (Matthieu, Marc, et Luc) montre bien qu’ils ont tous les trois puisé d’un document commun ou bien que certains ont
utilisé les écrits des autres, ce qui montre bien la dimension parfaitement humaine de leur œuvre.
Restent les épitres de Paul qui forment la plus grande partie du Nouveau
Testament. De quoi s’agit-il sinon de courriers écrits par Paul en tant que pasteur à différentes communautés chrétiennes, soit pour les encourager, soit pour traiter certains problèmes, soit
pour les instruire.
On est finalement amené à se demander comment tous ces livres, dont bon nombre
semblent être le fruit du travail de l’homme, en sont venus à porter le nom de "Parole de Dieu", à être considérés comme inspirés par Dieu, livrant une révélation divine, et déclarés canoniques,
c'est-à-dire ayant valeur de règle de pensée et de conduite pour les chrétiens.
Quelques textes bibliques semblent nous fournir des éléments de
réponse à partir desquels nous pouvons faire des déductions plausibles. Je les aborde ici à partir d'une perspective chrétienne afin de parler aux chrétiens sur leur propre terrain, mais tout à
fait conscient que tous les lecteurs ne partageront pas ce genre de présupposé. C'est un choix stratégique et pédagogique que j'assume.
Le premier texte, c’est celui d’Exode 17 :8ff qui raconte la
victoire de Josué sur Amalek avec l’aide de Dieu. Il est spécifié au verset 14 que l’Eternel dit à Moïse : « Ecris cela dans le livre, pour que le souvenir s’en conserve ».
Aucune précision n’est ajoutée concernant le livre dont il est
question, mais il est intéressant de savoir qu’il y avait un livre où semblaient être consignés les évènements de l’histoire d’Israël. Et c’est peut-être à ce même livre qu’il est fait allusion
dans Nombres 33 : 1-2 quand il est dit : « Voici les stations des enfants d’Israël qui sortirent du pays d’Egypte, selon leurs corps d’armée, sous la conduite de Moïse et d’Aaron. Moïse écrivit
leurs marches de station en station, d’après l’ordre de l’Eternel. »
Par ailleurs, le livre d’Exode nous apprend aussi que Moïse
avait écrit dans un livre toutes les lois que Dieu lui avait données pour le peuple d’Israël.
Ainsi, Moïse aurait été le premier à écrire des livres sur
l’ordre de Dieu, et une partie du contenu de ces livres viendrait des révélations faites par Dieu.
S’agissant par ailleurs des courriers de Paul, il y a une
déclaration intéressante qui est faite à leur sujet par un autre apôtre. Il s’agit de Pierre qui dit dans sa seconde épître (3 :15f) : « Croyez que la patience de notre Seigneur est votre salut,
comme notre bien-aimé frère Paul vous l’a aussi écrit selon la sagesse qui lui a été donnée. C’est ce qu’il fait dans toutes les lettres où il parle de ces choses, dans lesquelles il y a des
points difficiles à comprendre dont les personnes ignorantes et mal affermies tordent le sens, comme celui des autres Ecritures, pour leur propre ruine. »
Il y a trois choses importantes pour notre réflexion dans cette
déclaration de Pierre. La première , c’est qu’il dit que les écrits de Paul résultent d’une sagesse qui lui a été donnée. Il ne précise pas la source de cette sagesse, mais généralement quand un
juif met une action à la voix passive sans autre précision, c’est à Dieu qu’il fait allusion. Les écrits de Paul seraient donc le fruit d’une évidente sagesse, mais cette sagesse serait un don de
Dieu.
Ensuite, Pierre met les lettres de Paul sur un même pied
d’égalité avec « les autres Ecritures ». C'est-à-dire, qu’il fait les écrits de Paul entrer dans le canon des œuvres bibliques. Il les considère comme règle de foi et de conduite pour les
croyants.
La troisième observation, c’est que c’est un membre de la
communauté chrétienne, en l’occurrence Pierre, qui attribue aux écrits de Paul une valeur canonique.
Il y a là matière à réflexion car nous avons sans doute dans
cette déclaration de Pierre la clé de notre problème. Il s'agit du rôle joué par la communauté des croyants dans l'attribution de statut "inspiré" à certaines œuvres littéraires, et dans la mise
en place du canon des écrits bibliques. Certains ouvrages viennent à être reconnus dans la communauté de foi comme ayant un caractère spécial qui en fait des écrits à part appelés à jouer un rôle
tout à fait particulier d’instruction en matière de foi et de salut.
Sur quels critères ces livres reçoivent-ils ce statut de Parole
de Dieu et sont-ils déclarés « canoniques » ?
Plusieurs réponses émergent du texte biblique
lui-même.
Il y a eu des livres attribués à Moïse et contenant les lois qui
devaient régir la vie d’Israël. Il n’est pas sûr que les livres de l’Ancien Testament qui contiennent ces lois et que nous avons actuellement soient de la plume de Moïse lui-même. Il est possible
qu’ils soient l’œuvre de prêtres et de scribes qui ont retransmis le contenu du corps d’instruction donné par Moïse, puisque c’était un des aspects des rôles qu’il devaient jouer, ainsi
que nous le fait savoir Lévitique 10 :8-10. Ce qui est sûr, c’est que les livres qui contenaient le corpus légal établi par Moïse reçoivent un statut spécial. Tels sont les livres de
Lévitique et Deutéronome.
Il y a aussi des livres qui racontent l’intervention de Dieu
dans l’histoire d’Israël et qui sont aussi sacralisés de ce fait. Ce sont les livres comme la Genèse, Exode, Nombres, Josué, Juges, Samuel, Chroniques.
Certains livres sont écrits par des personnes reconnues comme
prophètes, c'est-à-dire des porte-parole de Dieu, au sein des communautés de croyants. Ces auteurs là disent eux-mêmes avoir reçu des révélations venant de Dieu et avoir reçu de lui l’ordre de
transmettre ces messages à la communauté de croyants. Il s’agit des 17 livres prophétiques de l’ancien et du nouveau testaments que nous avons déjà identifiés.
Et puis, il y a un certain nombre de livres écrits par des
personnages détenant un une influence particulière au sein des communautés de foi, soit à cause du statut qu’ils y détenaient eux-mêmes, soit à cause de leur relation privilégiée avec quelqu’un
qui détenait un tel statut. Il s’agit dans l’ancien testament de certains rois comme David, Salomon, Lemuel. De certains scribes comme Esdras ou de personnes influentes comme Néhémie. Dans le
nouveau testament, il s’agit d’apôtres comme Paul, Pierre, Jean, de personnes ayant été proches de ces apôtres comme Marc et Luc, et de deux frères de Jésus, Jacques et Jude.
Il y a aussi un livre dont l’auteur est resté anonyme jusqu’à ce
jour, l’épître aux Hébreux, et un livre qui semble avoir été écrit par un groupe de rabbins convertis au christianisme, l’évangile selon Matthieu.
Ainsi, ce ne sont pas tous les livres de la Bible qui sont
déclarés inspirés parce que leurs auteurs ont reçu des révélations directes de Dieu, ou bien parce qu’ils auraient été l’objet d’une intervention miraculeuse du Saint Esprit. Si cela semble le
cas pour certains livres, ça ne l’est pas pour tous. Plusieurs de ces livres ont acquis une place spéciale dans la communauté des croyants parce que leurs auteurs étaient reconnus comme des gens
dont l’enseignement était digne de foi, ou bien parce que leur contenu était apparu important pour guider les fidèles dans la foi.
Bon nombre d’ouvrages étaient écrits par des gens qui voulaient,
d’une manière ou d’une autre, contribuer à l’édification des croyants. Certains ont fait autorité, et d’autres ont été mis de côté.
La communauté des croyants a donc joué un rôle non négligeable
dans l'attribution du statut "inspiré" et dans la mise en place de ce que nous connaissons aujourd’hui comme le canon biblique. C’est elle qui a d’abord collectionné au fur et à mesure des
ouvrages contenant des informations et des enseignements relatifs à la relation entre l’homme et Dieu, qui a vu dans un certain nombre d’ouvrages la marque du Saint Esprit, et les a élevés au
rang d’œuvres canoniques servant de règle de pensée et de conduite aux croyants. Les écrits de Moïse et des prophètes ont fourni un socle à cette construction, et à partir de là la communauté des
croyants a sélectionné les œuvres qui étaient en harmonie avec ce fondement (l'analogie de la foi) et qui semblaient nécessaires à la foi.
Pour l’ancien testament, ce processus est arrivé à son apogée au
concile de Jamnia en l’an 90 de notre ère quand les rabbins ont fait le tri entre les écrits qui étaient dignes de foi par rapport à leur provenance et leur contenu, et d’autres livres qualifiés
d’apocryphes et qui ont été écartés parce que leur provenance était douteuse et que leur contenu déviait de la ligne tracée par les écrits qui faisaient déjà autorité.
Ce processus s’est parachevé pour le nouveau testament vers la
fin du deuxième siècle, et une liste appelée le canon de Muratori, du nom de celui qui l’a découverte, et datant de l’an 180 de notre ère, montre qu’une sélection avait été faite parmi les
nombreux écrits qui circulaient parmi les chrétiens de l’époque.
Ce qu’on appelle « l’inspiration » des Ecritures est donc un
phénomène complexe qui ne saurait se réduire à l'image naïve de personnes qui auraient été placés sous l'emprise surnaturelle du divin et auraient reçu miraculeusement des révélations venant
d'ailleurs.
Ainsi, loin de l’image naïve d’un ensemble de livres qui
auraient été pratiquement dictés par Dieu aux hommes, nous avons un processus lent où le divin et l'humain entrent en synergie.
De ce processus est né un ensemble de 66 ouvrages qui sont
reconnus par tous les chrétiens comme contenant tout ce qui est nécessaire à la foi. Certaines communautés chrétiennes y rajoutent d’autres ouvrages, mais ces ouvrages ne font pas l’unanimité
quant à leur fiabilité.
Cette nature spéciale des écrits bibliques, faite de divin et
d’humain, devra être prise en compte dans la manière dont nous les traitons.
Parce que c’est la "Parole de Dieu", ils doivent être traités
comme révélation de la vérité pour la foi, mais parce que c’est aussi la parole des hommes, ils doivent être soumis à un travail particulier d’exégèse, d’interprétation et de
réactualisation.
On ne peut pas faire comme s’ils venaient de tomber du
ciel.
Il faut s’assurer qu’on possède des textes fidèles aux tout
premiers écrits, d’où les travaux qui sont faits par les experts sur les manuscrits anciens.
Il faut chercher à retrouver le sens originel des propos en
analysant leur contexte historique, culturel, littéraire. D’où la nécessité de recherches sur les époques, les lieux et les peuples qui ont vécu au moment où ces écrits étaient produits par leurs
auteurs.
D’ailleurs, le contenu des textes bibliques nous impose cet
effort de compréhension.
Si l’on prend par exemple un texte comme celui de Actes 1
:15-20, cela devient immédiatement évident.
Dans ce passage de la Bible, il est question de l’apôtre Pierre
qui prend la parole devant une assemblée de chrétiens à Jérusalem. Parlant de Judas, celui qui avait trahi Jésus et qui s’était suicidé, Pierre dit : « Hommes frères, il fallait que s’accomplisse
ce que le Saint-Esprit, dans l’Ecriture, a annoncé d’avance, par la bouche de David, au sujet de Judas, qui a été le guide de ceux qui ont saisi Jésus. Il était compté parmi nous, et il avait
part au même ministère. Cet homme, ayant acquis un champ avec le salaire du crime, est tombé, s’est rompu par le milieu du corps, et toutes ses entrailles se sont répandues. La chose a été si
connue de tous les habitants de Jérusalem que ce champ a été appelé Hadelkama, c'est-à-dire ‘champ du sang’. Or il est écrit dans le livre des Psaumes : ‘Que sa demeure devienne déserte, et que
personne ne l’habite’, et ‘Qu’un autre prenne sa charge »
Ce que Pierre prétend ici, c’est que les textes écrits par David
dans les psaumes 69 :26, et 109 :8 lui avaient été inspirés par le Saint Esprit pour annoncer ce qui arriverait à Judas.
Or, quand nous allons dans ces deux textes écrits par David,
nous découvrons des choses qui sont assez déconcertantes.
Dans Ps 69 :26, il est écrit : « Que leur demeure soit dévastée,
qu’il n’y ait plus d’habitants dans leurs tentes »
Première constatation : le texte n’est pas au singulier comme
s’il s’agissait d’une seule personne, mais au pluriel.
Ensuite, quand on lit tout le Psaume, on s’aperçoit que David
parle ici de personnes par lesquelles il était agressé, et dont il demandait à Dieu de le débarrasser.
Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Quand on va
dans Psaumes 109, on constate que le texte évoqué par Pierre comme s’appliquant à Judas, est une expression de haine que les ennemis de David formulent contre lui. L’ une des choses que
souhaitent les ennemis de David, c’est « qu’un autre prenne sa charge ».
On voit mal pourquoi Pierre considère ces textes comme
communiqués à David par le Saint Esprit à propos de . . . Judas.
Pour comprendre ce qui se passe dans le livre des Actes, il faut
tenir compte de plusieurs données qui sont particulières à une époque, un milieu, une façon de percevoir et de dire les choses.
La scène se passe dans un contexte juif. Pierre est un chrétien
d’origine juive qui s’adresse à Jérusalem à d’autres chrétiens d’origine juive. La cadre de référence de son discours s’enracine donc dans la pensée juive.
Or, pour le juif de cette époque, le contenu de toutes les
Ecritures converge vers un seul et même but : la venue du Messie. Les rabbins s’efforçaient donc de trouver dans le texte sacré toutes les traces possibles, directes ou indirectes, d’allusion au
Messie. En effet, selon une certaine logique, si l’ensemble du texte annonce le Messie, il est légitime de voir en rétrospection une référence au Messie dans toute partie du texte où il y a
quelque chose qui se rapproche de l’histoire du Messie.
Du point de vue des juifs devenus chrétiens, Jésus est le messie
dont parlait toutes les Ecritures. Dans le livre de Luc, au chapitre 24, on voit un Jésus ressuscité qui déclare à ses disciples : « O hommes sans intelligence et dont le cœur est lent à croire
tout ce qu’ont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffre ces choses et qu’il entre dans sa gloire ? Et commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans
toutes les Ecritures ce qui le concernait. »
Voilà pourquoi Pierre, en se basant sur cette conception des
choses, voit dans les écrits de David des prédictions inspirées par le Saint Esprit concernant la trahison de Jésus par Judas.
Cette logique d’interprétation et cette façon de concevoir
l’inspiration des écrits de David par le Saint Esprit, nous sont complètement étrangères, mais ce sont celles des juifs chrétiens de cette époque, et nous devons être sensibles à ce côté très
humain du texte des Actes des apôtres.
Pierre vivrait aujourd'hui et en Occident qu'il ne tiendrait pas le même
langage.
En fait, on ne peut bien entendre et comprendre le message divin
de la Bible qu’en prenant au sérieux son côté humain. Pour être un croyant authentique, il faut être aussi un humaniste car la Parole de Dieu s’exprime par la parole des
hommes.
La Bible n'est pas un texte parachuté du ciel et possédant une
valeur littérale intemporelle, mais une parole d'hommes situés dans le temps et dans l'espace, rendant témoignage au divin avec des catégories de pensée qui leur sont propres, et où
la foi d'autres hommes va à la rencontre de Dieu.
Ce que les auteurs bibliques nous transmettent, ce n'est
pas tant la lettre de leur propos que la foi qui est née en eux en réponse à l'intervention de Dieu dans leur expérience.
Reste ensuite à faire tout un travail de décryptage de la
Révélation, et de réactualisation de la foi dans le présent et dans la culture du lecteur.
Le travail de décryptage se fait grâce à de nombreux outils tels que l’étude
des sources et des manuscrits anciens, la critique historique, l’analyse des formes littéraires, l’étude rédactionnelle, l’analyse sociologique, l’analyse structurelle, l’analyse rhétorique,
l’analyse narrative, l’étude des traditions, etc. . .
Ainsi, les fondamentalistes qui restent attachés à la simple
lettre ancienne des écrits sacrés pour en faire la norme intemporelle de la foi pour eux mêmes comme pour les autres, se trompent lourdement. Ils érigent avec arrogance et intolérance leur
ignorance en vérité universelle.
Cette lettre ancienne doit demeurer le support et le véhicule de la Parole de Dieu, mais elle ne peut être que cela. La Parole de Dieu
demeure au-delà du texte et reste un objet éternel de quête, de déchiffrement et de réactualisation au cœur d’une réalité humaine en perpétuel devenir.